L'énigme -1-
- Dites-moi, Viloc, vous êtes bien «Le» spécialiste de la disparition, non ? Alors qu'est-ce que vous nous foutez une timbrée sur les bras ? Une foldingo amnésique et pour faciliter l'affaire, pas un papier sur elle... ni dans son sac et reprenez-moi si je me trompe, seuls un pull-over noir, trois kleenex, une paire de lunettes de soleil version 1970, un porte-monnaie avec un billet de dix francs et trois francs cinquante en pièces, une demi-douzaine d'épingles à cheveux et une clef, unique, qui doit correspondre à une serrure mais laquelle et où ? Ça c'est une autre question... L'affaire du siècle, Viloc. Pas de plainte, pas de corps, rien... juste une émanation d'intuition, une sorte d'archéologie préventive. C'est nouveau, pour le dépaysement sans doute. Une nouvelle approche du métier ? Envie de changer d'air ? On sort juste de ce putain de référendum qui nous a foutu le bordel, le oui a gagné mais là, je vous dis non, alors soyez gentil Viloc, donnez ça à l'identité et puis basta.
Ces mots empreints d'une tendresse infinie et d'une spontanéité affichée émanent de mon boss, le commissaire Plaziat en personne, plutôt grincheux en la circonstance. Castéja tremble pendant la diatribe. Les longs couloirs aux suaves odeurs de pastis et de pieds retiennent leur respiration et il me semble soudain que mes Bata mériteraient un coup de cirage, quant à Jérémy, mon adjoint zozoteur, les yeux au ciel, il se verrait bien remettre une couche de Ripolin au plafond, la couleur ? Bof, on verra plus tard. L'heure n'est pas à la rigolade. J'attends cependant que l'orage s'éloigne et demande à Jupiter de m'accorder son attention deux minutes. Penaud, j'argumente. Je mets d'abord en avant la nouveauté et l'originalité de l'affaire et, si mon intuition ne me trahit pas, je poursuis : «une fin déroutante à une entrée en matière peu commune ne me surprendrait guère». Puis j'insiste sur la spécificité de mon poste, à savoir, les causes perdues et sur la dénomination de mon bureau, «le bureau des rêves», pourquoi pas des cauchemars ? Je termine en avançant l'argument massue arraché des lèvres collées du discret professeur Arzuelos :
«Je ne peux rien dire en l'état actuel des choses si ce n'est que ce sera long, m'a précisé hier soir le clinicien - il hésite. Il faut d'abord essayer de l'identifier puis faire une série de tests mais ce que je peux vous confier à vous et à vous seul en tant que policier, c'est qu'elle ne cesse de répéter : "je sais où est mon fils, je sais où il est". Or, chose troublante, suite à la demande de la police d'un examen sur d'éventuels coups et blessures reçus ou sur un viol, la femme en question n'a jamais accouché puisque vierge. Le mystère s'épaissit, a-t-il murmuré en guise de conclusion.»
Plaziat me fixe. Je vois sa pensée virevolter dans l'iris de son oeil clair. Une mouche vole.
- Il y aurait donc disparition... mouais... enfin peut-être...